8 octobre 2015

Work hard play hard®


"L'erreur d'analyse des organisations politico-syndicales sur l'évolution des mentalités et des préoccupations émergentes vis-à-vis de la souffrance dans le travail a laissé le champs libre aux innovations managériales et économiques. Ceux qui spéculaient, qui accordaient des largesses fiscales sans précédent aux revenus financiers, qui favorisaient les revenus du patrimoine au détriment des revenus du travail, qui organisaient une redistribution inégalitaire des richesses (qui se sont considérablement accrues dans le pays en même temps qu'apparaissait une nouvelle pauvreté), ceux-là mêmes qui généraient le malheur social, la souffrance et l'injustice, étaient dans le même temps les seuls à se préoccuper de forger de nouvelles utopies sociales. Ces nouvelles utopies, inspirées par les Etats-Unis et le Japon, soutenaient que la promesse de bonheur n'était plus dans la culture, dans l'école, ou dans la politique, mais dans l'avenir des entreprises. Les "cultures d'entreprises" ont alors foisonné, avec de nouvelles méthodes de recrutement et de nouvelles formes de gestion, notamment de direction des "ressources humaines". En même temps que l'entreprise était la base du départ de la souffrance et de l'injustice (plans de licenciement, "plans sociaux"), elle devenait championne de la promesse du bonheur, d'identité et de réalisation pour ceux qui sauraient s'y adapter et apporter une contribution substantielle à son succès et à son "excellence". 

Christophe Dejours, Souffrance en France, la banalisation de l'injustice sociale, Points, page 51.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire