16 octobre 2015

Un arrangement avec le mensonge


"Cela étant, on ne peut pas comprendre le processus de banalisation du mal uniquement à partir de l'analyse des conduites de ceux qui donnent nolens volens, leur adhésion au système. Il faut aussi considérer l'impact de ceux qui n'adhèrent pas au système sur le processus lui-même. On peut distinguer ici deux catégories: ceux qui ignorent, authentiquement, la réalité à laquelle, pour une raison spécifique, ils n'ont pas accès. Ceux-ci consentent mais sans le savoir. Ce sont des innocents, leur responsabilité n'est pas engagée, mais, de fait, leur conduite est en définitive la même que celle qu'utilise intentionnellement la stratégie défensive de la normopathie en secteur, qui n'est nullement de l'ignorance mais un arrangement avec le mensonge. La deuxième catégorie est représentée par les opposants, les résistants au système. On sait comment, dans les systèmes totalitaires est traité le cas des opposants: exil, exécution, ou camp de concentration. Mais ce n'est assurément pas le cas dans la société néolibérale. L'utilisation de la terreur et de l'assassinat est évidemment ce qui distingue le totalitarisme du système néolibéral. Dans ce dernier, toutes sortes de moyens d'intimidation sont utilisés pour obtenir la peur, mais pas par la violence contre le corps. Il semble que les opposants soient, dans le cas du néolibéralisme, essentiellement confrontés à inefficacité de leur protestation et de leur action. Non pas tant parce qu'ils sont minoritaires, mais en raison de la cohérence qui soude le reste de la population à la banalisation du mal."

Christophe Dejours, Souffrance en France, la banalisation de l'injustice sociale, Points, page 183.

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